Bon, dans tous les trucs de femme enceinte que je lis, un sacré paquet c'est mon coté rat de bibliothèque, traîne la même vieille antienne sur l'éducation prénatale du nourrisson. Là, vous me dites "c'est quoi", sauf si vous êtes une femme enceinte abonnée à Famili, où bien si vous intéressez d'une manière générale aux enfants, non, non, rougissez pas y'a pas d'mal, sauf si vous êtes un pervers pédophile, là non ça va plus du tout, reposez tout de suite ce Neuf mois mon vieux ou ça va chier, sauf si le magazine vous permet de maîtriser vos pulsions dans le cadre d'un accompagnement médical thérapeutique. Qu'est ce que je disais déjà ? Ah ouais. Donc l'éducation prénatale, c'est le fôôôrmidable lien éducatif que des parents (ou une mère solitaire si le papa est déjà parti au Guatémala) peuvent tisser (tout ce que le papa qui s'est tiré peut tisser en fait, ce sont des feuilles de bananier à la mode des indiens Saragano des jungles guatémaltèques, mais c'est une autre histoire) avec le futur bébé pendant qu'il est encore dans le ventre maternel, douillettement lové à faire les pires cabrioles douloureuses possibles.

Bon alors que faut-il retenir de tout ce fatras galimatiesque qui voudrait que l'on puisse préformer les goûts ou les habitudes d'un futur nourrisson comme on préforme la semelle en caoutchouc d'une chaussure de sport pour qu'elle s'adapte à votre pied en quelque sorte mais je m'éloigne du sujet restons concentré je vous prie. Oui pasque l'idée derrière tout ça, évidemment, c'est de faire en sorte que ton bébé il soit le meilleur des bébés. Ben ouais, sinon ça sert à quoi de faire un bébé si c'est pas le mieux au milieu des autres rogatons de ces cons d'autres parents, hein ? Donc voilà, faut faire le bébé le plus mieux bien, et pour reprendre le bon mot d'un célèbre humoriste reconverti dans la publicité pour grandes enseignes de puériculture, il faut réussir son bébé. Genre tu fais une pièce montée tu vois, elle est réussie si les petits choux se cassent pas la gueule hé ben là c'est pareil avec le bébé, faut le réussir et que ses petits choux, non, son caramel y coule pas, non, enfin bon vous avez compris l'idée, quoi. Un bébé beau comme une pièce montée de commmunion. Et pas con comme une communion par contre. Donc voilà. Oui donc la grande compèt' de bébés de la vie. Tout le monde essayant de faire le bébé le plus réussi, joufflu tout ça et connaissant des rudiments de physique quantique à la naissance ("Bonjour, je m'appelle Kevin, je mesure 54 cm et pèse 3kg450, ce qui nous donne une équivalence énergie-onde de trente-cinq mille electron-volts, Papa est hyper-fier et Maman on dirait le chat de Schrödinger"). Et la compétition doit commencer avant le berceau.

Alors voilà que le bébé faut lui apprendre des tas de trucs directos dans le ventre de sa mère. C'est genre obligatoire si tu veux être parent modèle. Faut lui lire des textes en anglais pour qu'il soit naturellement bilingue. Le papa doit lui parler pour le rassurer "hello kitty boy, aille âme youre fazère ande aille ame note goingue to the guatemala donte bi eufraide" et pour qu'il connaisse la voix de son maître paternel. La maman c'est pas la peine pasque il connait déjà sa voix le Sigmund il l'entend tout le temps en résonance dans le bidon, j'te jure, rien que ça, ça montre que c'est une connerie pasque la voix de sa mère à travers le placenta et le liquide ammoniaqu amniautik améonautiq à bébé ben ça doit ressembler à un gros fumeur qui parlerait au fond d'une piscine ou un truc approchant je crois. Alors que mon amour-à-bidon-circonventionnel et ben elle a la douce voix raffinée d'un colibri des îles qui susurrerait un secret dans le creux d'une oreille attentive (enfin je trouve même si je dois reconnaître qu'au septième mois le colibri a un peu forci, mais bon). Faut que le bébé il goûte aussi à toute les facettes de la culture moderne qui font aujourd'hui l'honnête homme. La vache, c'est pas gagné. On est obligé ? Ah ouais. Bon. Le monde, les peuples, les langues, la société, les aventures de Pom le poney et du petit Nicolas (pas celui de la présidentielle, non, celui qui est rigolo), et puis l'île aux enfants, Nicolas et Pimprenelle (pas la dominatrice des élections présidentielles, non, celle qui se tape Nounours ) et puis tous les trucs de grands bien relous genre les trucs pas bien du monde, pffff, y'en a tellement, tellement.

Puisqu'on est obligé, on est obligé. Alors on a fait un programme pour Sigmund. C'est pas genre on va le faire gagner aux concours du bébé absolu, hein ? Avec les parents qu'il se paye ce sera déjà bien s'il termine premier du concours du plus gros mangeur de gaufre de l'outre-quiévrain (là ouais, fastoche). Ni du plus beau bébé, non plus, ça va c'est bon on connaît les lois de la génétique, hein bon, on s'est tapé les haricots du père Mendel et tout ça, on sait que chez Sigmund tous les gênes récessifs de trucs beaux qu'il aurait pu grapiller du coté maternel vont se faire laminer la gueule par les gênes dominants de la mocheté du coté paternel (genre le gêne du gros nez franchement çui-là si c'était possible de faire du maïs OGM pour se le changer, j'te jure que je voterai pas pour José Bové aux élections. Mais comme ça existe pas je vais être obligé de voter pour lui, hein. Bon). On néglige rien. Dans notre programme, cent-vingt-cinq propositions pour redresser la france dresser Sigmund. A commencer par ses goûts musicaux, et son éducation littéraire de base.

Alors bon j'y lis de la poésie tous les soirs. Sigmund si tu m'entends, dans le creux de ce ventre / Il faut que je te cause, c'est pour ton bien futur/ Ecoute ton paternel, ou tu peux être sûr / Qu'à peine éclos du jour tu prendras une trempe. Ouaip, pasque il faut aussi donner des rudiments d'autorité quand même. Alors faut le former. Un peu de Charles, un peu d'Arthur, ça peut pas faire de mal. Le Tonton de Sigmund penchait pour les chants de Maldoror, mais bon pour un bébé, je trouvais que c'était un peu long, faut pas croire quand même la capacité de concentration elle est pas énorme à cet âge. Déjà je vois bien quand on attaque les cours de maths ; il décroche dès qu'on arrive aux intégrales de Lebègue, et pourtant il faudra bien qu'il comprenne s'il veut maîtriser les espaces de Sobolev (le grand échec de son père). Pareil pour la physique c'est hyper-dur, surtout la physique quantique j'aurais pas dit. Ca va être dur pour les grandes écoles après. Bon sinon la musique ça va. It ize oké for ze musik (pas oublier l'anglais non plus). Ouaile you si, vis ize the great brassens, it ize goude, and all ze rest is crap. Crapoteux même des fois. Une éducation complète pour ce petit qui promet déjà. A la pointe du progrès prénatal. Sans oublier les réflexes primordiaux : clean your nose and say hello to the dame ; this is a waffle, this is nutella and this whipped cream, and then it is comme the intégral from Lebègue, you si, you take the waflle and schalf, schurp, miam, y'a bon.

Voilà, j'espère qu'il va pas tout mélanger. De toute façon vous verrez ça sur le faire-part de naissance, hein. Peut-être ça sera genre un petit gommeux crâneur : "Oui je m'appelle Sigmund et je suis né sous la double étoile de Rimbaud et de Poincaré. Je fais la bonne taille et le bon poids, idéaux. Maman va très bien, elle est ravissante et ses gênes sont heureusement dominants. Mon père est, comment dit-on en français, well, je ne trouve pas le mot, yes, let's say crap to be polite. Quelqu'un peut me le changer ? Merci."
Petit con, va. Déjà une éducation à refaire.