Ce n'est pas un complot. J'ai maintenant la preuve matérielle qui me manquait. Ben oui, parce que sous mes airs de gros dur, vous vous doutez bien que je n'ai pas forcé mon amour-renard-complice à manger les fameuses bardes de lard au sucre et au beurre pour voir si elle était réellement enceinte. Non. J'ai l'âme sensible d'un poète russe exilé dans le blizzard qui voit mourir les albatros dans l'huile visqueuse d'un pétrolier échoué par une mer déchainée, alors pensez, merci bien. En plus l'odeur du beurre sucré me dégoute (ainsi que celle du beurre salé, d'ailleurs, mais je ne voudrais pas me fâcher avec d'éventuels lecteurs bretons, kénavo, kénavo !). Donc mon test ayant échoué, je restais dans l'incertitude de cette grossesse. Mais là bing ! Depuis hier ! Le truc imparable, bien plus sûr que les photos à Batman.

Mon amour-blizzard-proof a froid ! Et ça je vous jure que c'est une grande première ! Depuis hier, Paris est congelé comme une toundra arctique sur laquelle un poète russe exilé verrait mourir des albatros, etc, etc. Un air sibérien s'est abattu sur la capitale et les trottoirs se transforment lentement en patinoire à pingouins, tandis que les mac-dos devient des cantines à ours polaires (j'exagère à peine), bref on se pèle les miches, on se caille les meules, on a les bonbons comme des cacahouètes et on tremble plus que Michael J. Fox dans son dernier numéro sur Youtube (oui je sais celle-là est de mauvais goût). Et dans ce déferlement glacé, pour la première fois depuis que je la connais, mon amour-à-régulation-thermique a froid elle aussi.

Non parce que d'habitude c'est plutôt le genre à dormir la fenêtre ouverte par moins dix pour l'hygiène, à sauter du lit le matin et faisant fi de mon haleine qui tombe au sol et se brise en mille glaçons à ouvrir en grand la fenêtre pour aérer, à vaquer en petit culotte affriolante quand l'air est pratiquement solidifié, et à se demander pourquoi je ne lui saute pas dessus alors que mon bigorneau se recroqueville en lui-même comme une bite exposée au froid. C'est ce genre là, voyez. Le genre aussi a laisser la porte fenêtre de la cuisine grande ouverte la nuit à cause des odeurs de nourriture. Parfois j'arrive à me préparer un thé chaud avec mes mains congelées le petit matin, mais pas toujours. Je souffre le martyre, voyez. Le martyre du froid et du courant d'air facétieux qui vous gèle les roupettes si vous ne les avez pas enveloppées de deux slips, d'un caleçon long extrêmement sexy et de deux pantalons en flanelle.

Mais à présent elle a froid ; je ne sais quelles hormones responsables de la régulation thermique ont été bouleversées par la grossesse, mais y'a de la frigorification dans l'air. A elle maintenant les matins glaciaux pour essayer de se faire un café -décaféïné, en plus, ah ah- dans la cuisine givrée. A elle les petits courants d'air taquins sur le cou dans le lit, juste là, oui, là où vos vertèbres finissent par se souder. A elle, la chair de poule qui râpe comme du papier de verre sur le tissu froid des chemises. A elle, l'haleine qui se condense en brouillard froid. A elle les roupettes congelées. Ah non, tiens. Je veux dire, à elle les nichons durs comme du bois (hum). Je suis vengé ! Je suis vengé ! Merci Sigmund de lui faire toucher du doigt l'ampleur de mon martyre quotidien. Merci !

Et la cerise sur le gâteau congelé de picard, maintenant : constatant cette étonnant renversement de situation thermique, j'imagine qu'il y a de fortes chances que Sigmund soit un frileux du même acabit que son père. Alors là ce serait merveilleux. Je nous imagine déjà dans le séjour calfeutré et surchauffé, tremblotants dans les bras l'un de l'autre. Je nous imagine déjà, la main dans la main, faisant le soir le tour des fenêtres de la maison et les fermant d'un air excédé en levant les yeux au ciel. Je nous y vois déjà, tiens.

Tout ça pour dire que c'est une bien belle journée, tiens. Froide mais belle.